Depuis plusieurs semaines, un bras de fer oppose les ophtalmologistes privés aux opticiens. Cette guerre ouverte a atteint son apogée avec la lettre qu’a adressée le Syndicat National des Ophtalmologistes Libéraux (SNOL) via le Collège Syndical National des Médecins Spécialistes Privés au Premier Ministre demandant le retrait pur et simple de l’article 6 du projet de loi 45-13 actuellement en préparation à la chambre des conseillers. Cet article reprend de manière fidèle l’article 5 du dahir 1954 régissant la profession d’opticien, ledit article autorisant les opticiens sous certaines conditions à faire de la réfraction et équiper les personnes présentant une amétropie en verres correcteurs. Selon les ophtalmologistes privés, corriger les anomalies de la réfraction constitue un exercice illégal de la médecine et tombe sous l’interdiction de la loi 131-13. Surpris par une campagne de désinformation dans les médias envers les opticiens, le Syndicat Professionnel National des Opticiens du Maroc (SPNOM) se demande comment les opticiens qui corrigent la vue de millions de Marocains depuis des décennies et qui ont reçu la formation pour accomplir ce genre de tâches se retrouvent accusés d’exercice illégal de la médecine. Contexte mondial : Selon le plan d’action mondial 2014-2019 établi par l’OMS et qui vise la réduction des déficiences visuelles, 285 millions de personnes dans le monde étaient atteintes d’une déficience visuelle en 2010. Sur ce total, 39 millions étaient aveugles et 80% des déficiences visuelles, cécité comprise, étaient évitables. Les deux causes principales de déficience visuelle sont les vices de réfraction non corrigés (42%) et la cataracte (33%). Des interventions d’un bon rapport coût/efficacité existent dans tous les pays pour réduire la charge de ces deux affections.Plus inquiétant encore, une étude publiée en 2016 dans la revue “Ophtalmology” conclut que 50% de la population mondiale sera myope en 2050. En raison du changement de notre mode de vie et la sollicitation de la vision de près, l’utilisation excessive des smartphones met en évidence les erreurs de réfraction et augmentent les problèmes liés à la vision binoculaire (l’utilisation des deux yeux). D’un autre côté, le fardeau financier imposé à l’économie en raison de la distance non corrigée et de l’erreur de réfraction proche est de 227,36 milliards USD, tandis que le coût estimé de la correction de la vision de distance se situe entre 20 et 28 milliards USD. L’OMS définit plusieurs catégories de professionnels en santé visuelle.Malgré l’augmentation du personnel de santé paramédical, seuls l’ophtalmologiste, le personnel infirmier en ophtalmologie, les optométristes, les opticiens et les orthoptistes sont spécifiquement reconnus dans la Classification internationale type des professions (CITP-08). Dans le cas du Maroc où les optométristes se comptent sur les doigts de la main, le métier d’optométriste est peu connu du grand public ; il est donc nécessaire d’éclairer celui-ci sur cette spécialité. “L’optométrie est une profession de santé autonome, formée et réglementée. Les optométristes sont les professionnels de l’œil et du système visuel qui assurent un service oculaire et visuel complet, qui inclut la réfraction et la fourniture d’équipements optiques, la détection/diagnostic et le suivi des maladies oculaires et la réhabilitation du système visuel”,selon la définition du WCO (World Council of Optometry, Conseil Mondial de l’Optométrie),membre de l’OMS. Partout dans le monde, les optométristes sont souvent les premiers interlocuteurs des personnes atteintes de maladies oculaires. Particularité française: Malgré l’existence de diplômes d’Etat en optométrie, le lobby des ophtalmologistes français s’est toujours opposé à la réglementation de la profession d’optométriste. En effet, la France est l’un des très rares pays d’Europe et du monde à ne pas avoir encore de statut d’optométriste. Cependant, pour assurer l’accès aux équipements optiques, lunettes et lentilles de contact à la population, le législateur français ne cesse de donner plus de prérogatives aux opticiens. Aujourd’hui, ils peuvent renouveler et adapter les ordonnances des ophtalmologues en fonction de l’âge du patient. « Afin de prévenir des conflits d’intérêts, un patient ne pourrait acquérir un équipement d’optique dans le point de vente où il lui a été prescrit. » Le dernier décret de 2016 autorise ainsi les opticiens à allonger la durée d’adaptation des prescriptions. Les ordonnances des ophtalmologistes pour les verres correcteurs sont donc valables : 1 an pour les patients âgés de moins de 16 ans; 5 ans pour les patients âgés de 16 à 42 ans; 3 ans pour les patients âgés de plus de 42 ans. La correction optique des prescriptions de lentilles de contact datant de moins de trois ans (un an pour les moins de 16 ans) peut également être modifiée par l’opticien. En fin 2018, ils vont encore plus loin : la Cour des Comptes française vient de publier un rapport qui préconise d’élargir le rôle des opticiens à la prescription en première intention des équipements d’optique, sous réserve d’une formation complémentaire de niveau Master(Bac+5). Qu’en est-il du Maroc? Dans notre pays, les besoins sont énormes, d’après l’Association Marocaine des Fournisseurs d’Optique (AMFO). La consommation en verres correcteurs avoisine les sept millions de verres par an, soit 3 millions de Marocains (moins de 10% de la population) qui changent ses verres correcteurs. Si l’on considère que la fréquence de renouvellement est de 3 ans en moyenne, on arrive à peine à un taux de pénétration autour des 25%.Ce chiffre reste relativement faible compte-tenu des données démographiques du pays. Sur le plan législatif, le dahir de 1954 qui régit la profession d’opticien lunettier autorise les opticiens à délivrer des verres correcteurs sans ordonnance, sauf dans les cas suivants: a) Sujets de moins de seize ans ; b) Acuité inférieure ou égale à 6/10 après correction ; c) Amétropies fortes, presbyopies en discordance manifeste avec l’âge. Malgré ces prérogatives, peu d’opticiens faisaient la réfraction, la majorité se contentaient de délivrer des équipements aux détenteurs d’ordonnances médicales jusqu’aux années 90 où il y a eu prolifération de magasins sans autorisation et développement du marché informel (Derb Ghallef,Koréa, etc.).Pour se différencier de cette concurrence déloyale, les opticiens diplômés situés dans les quartiers populaires ont commencé à exercer pleinement leurs prérogatives afin de répondre aux besoins grandissants de la population marocaine en équipements optiques. Cette guerre contre l’informel a donné lieu à une initiative de test de réfraction + équipements commençant à partir